Jean Christophe Péraud l’a fait
Jean Christophe Péraud, licencié chez nos amis de Creusot Cyclisme sera demain sur le podium du Tour de France 2014, à côté du vainqueur Vincenzo Nibali, sur la 2ème marche. Les creusotins ont vibrés devant leur téléviseur, grâce à l’exploit de ce cycliste d’une simplicité exemplaire pour nos jeunes, sur la course la plus importante du monde. Voilà un article tiré du Nouvel Obs qui résume bien la personnalité de Jean Christophe Péraud tel qu’il est vu, notamment par ceux qui l’ont côtoyé de près:
Jean-Christophe Péraud, l’homme qui ne devait pas être là
Deuxième du Tour de France, cet ingénieur de 37 ans n’est pas dans le moule du peloton et ne représente pas la jeune génération du cyclisme. Portrait d’un type qui a toujours laissé la gloire aux autres.
Foutu Péraud. Qu’est-il venu faire là ? L’histoire du Tour 2014 était servie sur un plateau par la maladresse, la malchance, le ralentissement du dopage, l’éclosion d’une génération : c’était le Tour des jeunes Français. Une année zéro du cyclisme tricolore. Dix ans de cocoricos allaient suivre et on se souviendrait que tout avait commencé sous Vincenzo Nibali.
Péraud, 37 ans, est arrivé comme un chien dans un jeu de quilles, foutant en l’air ce storytelling. Lorsque Thierry Adam dit : « Ils nous font plaisir les jeunes Français ! », il est obligé d’ajouter : « Et Jean-Christophe Péraud, aussi ». Sur les six unes consacrées au Tour de France par L’Equipe pendant la deuxième semaine de course, on ne l’a vu qu’une fois, et encore, en arrière-plan.
L’arrière-plan : là où Péraud se sent le mieux. Tant de lumière, après cette deuxième place dans le Tour, risque de l’aveugler. Quand il pouvait passer à la télé, il y a toujours eu quelqu’un pour lui bouffer du temps d’antenne. Il est médaillé d’argent aux JO 2008, en VTT ? Julien Absalon le devance, champion olympique. Il entre dans les 10 premiers pour son premier Tour de France en 2011 ? Thomas Voeckler fait rêver la France et finit 4e.
Sur ce Tour de France, quand il ne slalomait pas entre les journalistes pour aller récupérer au plus vite, il offrait 30 secondes à la télévision, toujours les mêmes. Assis contre une barrière, une serviette autour du cou, un regard qui implore de le laisser tranquille, des réponses courtes mais posées. Samedi, à l’arrivée du contre-la-montre, il pleurait et a bredouillé :
« Je suis incapable de dire un mot, rendez-vous dans un mois pour l’interview. »
« La conversation ne porte jamais sur lui »
Observer Péraud après un effort intense donne l’image d’un taiseux, humble et calme en toutes circonstances. C’est exactement ça, dit son ami Pierre-Geoffroy Plantet, comme lui ingénieur et vététiste :
« Il s’intéresse énormément aux autres, pose beaucoup de questions. La conversation ne porte jamais sur lui. Même en VTT, malgré son palmarès, il n’était pas sûr de lui, écoutait énormément l’avis des autres. »
Du coup, on en sait peu sur lui. Il faut écouter ceux qui le connaissent. Xavier Robbe, son premier patron chez une filiale d’Areva, au Creusot :
« C’est un gars très abordable et sympathique, toujours posé, mesuré. Pas un énervé. Il analyse beaucoup les choses, sans réagir au quart de tour. Il n’est pas dans les intensités, ni haute ni basse.
Dans le quotidien, il est un peu nonchalant, gère son énergie et la met au bon endroit, quand il en a besoin et envie. Professionnellement, il se mettait pas à 100%, il se préservait pour le vélo… »
Aymeric Brunet, qui roulait avec lui au Creusot Cyclisme :
« Je ne lui connais pas d’ennemi. Il sait rester simple, les pieds sur terre, des fois un peu trop. C’est l’anti “bling-bling”. »
Il roule en C5, nourrit peu de passions hormis le vin, son seul luxe – il possède une jolie cave. Ses deux enfants et sa femme, chargée de communication, passe avant le reste, avant même la reconnaissance des étapes des Pyrénées et du contre-la-montre.
Sa splendide maîtresse
Hors sa famille, Jean-Christophe Péraud dit qu’il a un « grand amour de jeunesse », le VTT qu’il appelle « vélo vert », et une « splendide maîtresse », la course sur route.
Son étourderie est légendaire : capable d’oublier son passeport à la maison, de laisser ses chaussures dans la chambre d’hôtel ou de prendre un train pour la Gare de Lyon, à Paris, en pensant rentrer à Lyon après une course. D’ailleurs, son équipe lui attribue toujours un colocataire qui lui sert de second cerveau et non le coureur avec qui il s’entend le mieux.
Il y a 10 ans, son diplôme de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) lui aurait valu le surnom d’intello du peloton, et donc un statut. Mais aujourd’hui, un diplôme ne fait plus de vous une exception du peloton.
Si le Toulousain se distingue, c’est par son parcours. Péraud n’a intégré le gotha du cyclisme, le peloton professionnel sur route, qu’à l’âge de 32 ans. On dit qu’un coureur arrive généralement à maturité autour de 28 ans.
Le « moteur » et l’antidopage
Avant cela, il y eut de longues années d’études, à Toulouse, Tarbes puis Lyon. L’embauche chez une filiale d’Areva, où il finit par obtenir un statut à part : le matin, il réfléchit à la fabrication de pièces destinées à l’industrie nucléaire, l’après-midi, il roule sur son VTT. Quand le géant du nucléaire l’a mis en disponibilité pour qu’il tente sa chance sur la route, Péraud avait l’impression de « tourner en rond le matin ».
Le cyclisme professionnel l’a longtemps regardé comme une bête curieuse. La Française des Jeux est la première à l’avoir repoussé quand Lapierre, son sponsor VTT et celui de la FDJ à l’époque, a proposé qu’il intègre l’équipe de Marc Madiot. Péraud n’avait obtenu ni médaille olympique, ni titre de champion de France contre-la-montre, ni une 10e place aux championnats du monde de la spécialité (2009).
Il n’était qu’un « moteur » présumé. Son entraîneur, jusqu’en 2004, était le médiatique Antoine Vayer, ancien entraîneur de Festina et chroniqueur engagé dans l’antidopage pour Libération et Le Monde. Ce gars-là, clamait Vayer, c’est de la dynamite. Il a le potentiel pour être meilleur grimpeur du Tour de France, disait-il il y a 10 ans, mettant en avant sa VO2 max exceptionnelle de 86 ml/mn/kg.
Péraud entretenait des amitiés qui l’auraient fait passer pour un paria dans le peloton de l’époque, sous la coupe d’Armstrong. Gilles Delion, excellent coureur français ayant refusé l’EPO quand il faisait son apparition dans le peloton ; Jérôme Chiotti, dopé repenti du VTT ; et Vayer, donc.
Selon ses camarades d’entraînement, il ne faisait pas une obsession des dopés du peloton route ou VTT. Il se contentait de vivre le vélo à sa façon : pas une piqûre, pas de corticoïdes, jamais de médicament inutile.
Péraud a changé d’entraîneur mais Vayer le considère toujours comme « l’étalon de l’antidopage ». Chiotti, devant le Tour 2013, indiquait qu’il ne mettrait plus « (sa) main à couper pour Péraud ». Choisissez votre camp.
« Il ne partage pas grand chose »
Moins de cinq ans avant de finir deuxième du Tour de France, Péraud s’est fait rire au nez par toutes les équipes françaises qui refusaient d’offrir un bon salaire à un coureur qui, en plus, réclamait de continuer un peu le VTT. « Il est néo-pro », s’est entendu dire son agent, alors que Péraud éclaboussait le peloton amateurs de son talent et battait Sylvain Chavanel sur le contre-la-montre.
Il a fini par trouver place dans une équipe belge, la Lotto. Péraud voulait juste courir le Tour de France. « Son objectif n’était même pas de passer pro, juste de faire un Tour et s’arrêter ensuite », assure Aymeric Brunet. Il ajoute : « Mais il est jusqu’au-boutiste. »
La route, ce n’est pas son univers. Son agent, Michel Gros, explique :
« Il a mis un petit moment pour devenir un vrai routier, sur les plans technique et tactique. Et puis un vététiste a son mécano, son masseur, il vit complètement de son côté. Il n’y a pas d’équipe dans le VTT, ce sont des individualistes. »
Du VTT, Péraud a gardé son individualisme et sa capacité à rouler très longtemps dans le rouge. Certains vététistes ont très bien réussi dans le vélo, comme l’ancien vainqueur du Tour Cadel Evans. D’autres ont échoué comme le champion olympique de 1996 Miguel Martinez qui, lorsque Péraud est passé pro, persiflait dans L’Equipe :
« Pour réussir sur la route, j’ai compris qu’il fallait avoir des amis et, comme on le sait, il (Péraud) n’en a pas […] Jean-Christophe ne partage pas grand-chose, il vit un peu en vase clos. Ça n’enlève rien à son talent. »
« Il ne comprenait pas l’esprit d’équipe »
Martinez n’avait pas tout à fait tort : Péraud a mis deux ans à s’adapter et il le reconnaît aujourd’hui. Son intelligence et sa force, qui faisaient de lui un leader naturel, l’ont bien aidé. Chez Lotto, il braque la vedette locale, le flamand Jürgen Van den Broeck, qui n’adresse pas la parole à celui qu’il considère comme une menace. Marc Sergeant, le patron de l’équipe, raconte au Cycling Podcast :
« Il a mis du temps à comprendre ce que signifiait être un coureur dans une équipe. Si on lui demandait de rendre service à un autre coureur, il répondait : “Heu, pourquoi ?” L’esprit d’équipe, ce n’est pas quelque chose qu’il comprenait. De toute évidence, il le comprend mieux aujourd’hui. »
Vincent Lavenu, manager d’AG2R, observe que son coureur a trouvé sa place à la fois dans l’équipe, où il est plus intégré, et dans le peloton, où il a compris comment se positionner.
Depuis qu’il est passé professionnel, Péraud a toujours terminé dans les quatre meilleurs français au classement UCI sans jamais intéresser la presse sportive. Sa façon de s’accrocher aux roues et sa grimace dans l’effort n’en font pas un cycliste glamour. Il s’en fiche pas mal.
Son unique moment de gloire, jusqu’ici, était une chute sur le Tour de France 2013. Dans le dernier contre-la-montre, alors qu’il s’apprêtait à obtenir sa meilleure place finale dans le Tour, Péraud chutait, à l’entraînement puis en course, dans le même virage, sur la même épaule. Sa femme était en pleurs dans la voiture.
Cinq mois plus tard, Jean-Christophe Péraud imprimait le cliché sur ses cartes de vœux.
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